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A la recherche des parents..

A la recherche des parents..

VIEUZIBOU a écrit et j'ai bien aimé:

Deux livres m’ont récemment fait comprendre -et partager- la souffrance qui peut toucher des enfants, au point de dévaster jusqu’à leur existence d’adulte, lorsqu’ils sont privés brutalement de leurs parents .

J’avoue que je n’imaginais pas, auparavant, l’intensité de cette souffrance, ni, a contrario, l’ immense soulagement apporté par la découverte, ou la redécouverte de ces parents disparus.

En effet, si j’ai moi aussi désormais perdu mes parents, leur décès m’est apparu certes comme une souffrance, mais aussi comme un évènement rentrant dans « l’ordre des choses » ( à l’inverse par exemple de la perte d’un enfant qui me semble la pire des souffrances pour des adultes, et une souffrance qui, tragiquement, va à rebours de cet « ordre des choses »). Et je n’ai pas eu de mal à affronter la suite de mon existence, avec la femme que j’aime et mes amis. C’est du moins ce que je ressens. Ces deux romans m’ont donc ouvert les yeux sur des souffrances , et des combats, que j’ignorais jusqu’alors.

Le premier roman « Luz ou le temps sauvage » de l’écrivaine argentine Elsa Osorio (Ed . Métailié, 2002), raconte la quête par une jeune fille, symboliquement nommée Luz (lumière), de ses véritables origines ; par son intuition, elle s’aperçoit progressivement qu’elle n’est pas la petite-fille d’un général argentin tortionnaire durant l’atroce dictature militaire de 1976-1983, mais qu’elle a en réalité été « volée » à sa naissance à ses véritables parents, militants communistes ; et, si sa mère est décédée sous les tortures, elle est animée par l’espoir , apparemment infondé puis de plus en plus réaliste, de retrouver son père après vingt ans de séparation. La chronologie du roman est d’ailleurs inversée ; il débute par les retrouvailles de ce père et de sa fille, à Madrid, avant de nous lancer dans le jeu de pistes quasi insensé qui a permis à Luz d’aboutir à cette rencontre.

Je n’ai lu ce roman que récemment ; c’est pourquoi il est bien présent dans mon esprit alors que je viens de terminer la deuxième version ( pourquoi la deuxième, je le dirai plus loin) de « Une seconde vie » de l’écrivain irlandais Dermot Bolger (Gallimard 2012).

Je ne saurais trop recommander les ouvrages de Dermot Bolger; cet écrivain m’enchante par sa capacité à aborder une grande diversité de sujets, qui évoquent plusieurs époques de la vie irlandaise du siècle dernier à nos jours , son empathie profonde avec ses personnages, si divers soient-ils, et son talent de conteur ; avant tout, il nous fait partager son âme profondément irlandaise, non pas fermée au monde extérieur et repliée sur elle-même, mais humaniste, passionnée par les débats politiques et sociaux (où le poids de la religion tient une grande place ), profondément ancrée dans les paysages, les villes et les campagnes, et le climat, de son pays. Souvent avec une écriture très poétique. Qu’il me suffise de citer « Toute la famille sur la jetée du paradis », une saga qui traverse tout le vingtième siècle et « Ensemble séparés », une de ses plus récentes traductions, qui raconte comment une arnaque immobilière bien de notre époque perturbe la vie de deux couples contemporains.

Dans « Une seconde vie », Dermot Bolger revient sur de sombres années de l’histoire irlandaise: le drame des enfants nés hors mariage et séparés de leurs mères « ayant enfanté dans le péché » et condamnées à vivre ostracisées dans des institutions religieuses, et souvent à mourir prématurément dans les pires conditions. Quant aux enfants, heureux ceux qui survivaient (car on a découvert des charniers d’enfants morts de faim et d’abandon) et qui pouvaient être adoptés par des familles motivées et souvent aimantes, mais toujours sous le contrôle vigilant des institutions religieuses catholiques.

Dermot Bolger avait écrit une première version de ce livre dès 1993, en précisant qu’elle n’était pas autobiographique (il avait perdu sa mère à 10 ans dans d’autres circonstances) ; alors même que commençait à peine la « déconstruction » des « murs de silence » et des « murs matériels hauts et impénétrables derrière lesquels on gardait les dossiers d’adoption ». Le film « The Magdalene sisters » n’est sorti qu’une dizaine d’années après . L’écrivain explique donc dans la préface de cette seconde édition , publiée en Irlande en 2010, que toutes les révélations et découvertes mises à jour par ces familles et ces enfants sacrifiés l’ont conduit à réécrire son récit, d’où cette seconde version.

Il y raconte l’histoire de Sean Blake, un photographe professionnel d’une trentaine d’années, marié et père de deux tout jeunes enfants, qui, à la suite d’un grave accident de voiture, tombe dans le coma; à son réveil, il semble être devenu étranger à lui-même. Il décide alors de partir en quête de son passé, non sans frictions avec son épouse, à la recherche de sa mère dont il ne sait rien. Elle l’avait enfanté dans un de ces couvents de la très catholique Irlande d’après-guerre. Et Sean avait été confié à une famille adoptive , d’ailleurs aimante et chaleureuse, une vraie famille irlandaise du peuple, mais toujours sous le contrôle permanent des représentants de l’église catholique. Par son obstination, à la suite aussi d’un jeu de pistes compliqué, Sean retrouvera les traces de sa mère, mais le destin rendra sa quête incomplète. Il devra se reconstruire malgré tout, avec toutes ses questions demeurées sans réponse sur ses véritables parents, en tentant de retrouver l’amour de sa femme et de ses enfants.

Dans chacun de ces deux livres, on voit comme sont imbriqués des épisodes tragiques de l’histoire de ces deux pays (la répression de la dictature militaire en Argentine et le sort funeste des mères et des enfants « hors mariage » dans l’Irlande très catholique des années de l’après guerre) et des destins individuels touchés au plus profond de ce qui donne sens à la vie ; nos origines, notre exigence de vérité et de lumière, et la construction de notre avenir. Dermot Bolger, plus particulièrement , nous fait découvrir, dans chaque épisode de son récit qui se lit comme un « thriller » , la psychologie et les ressorts profonds de la personnalité de chacun de ses héros, mais aussi une grande variété de personnages, depuis le curé de campagne ravagé par la culpabilité en raison de son silence passé, jusqu’à l’entrepreneur « self made man » et même au commerçant, italien d’origine, un peu « arnaqueur » sur les bords ! Une des clés de son talent, c’est justement cette confrontation de la tradition et de la modernité (qui prend la forme d’un libéralisme capitaliste débridé) dans cette Irlande contemporaine qui connaît tant de bouleversements. Certaines réflexions, certains dialogues, sur la condition humaine , le péché , l’amour, le pardon, la quête de la vérité derrière les secrets, me font penser au Graham Greene de « La puissance et la gloire ».

Mais, avant tout, grâce à Elsa Osorio et à Dermot Bolger, j’ai appris combien il était important de retrouver nos origines, de savoir d’où nous venons ; ceci sans nous complaire dans la nostalgie, mot que je n’aime guère. Au contraire, ces « retrouvailles » peuvent nous rendre plus forts , et aussi plus aimants pour nos proches et nos enfants, face à notre avenir.

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A
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.
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